Beaucoup ont qualifié l’année
2015 comme une annus horibilis
encadrée par les attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo et ceux du 13
novembre dernier, crises hors normes et asymétriques, submergées d’émotion et
de douleur. Dresser un bilan des crises pour l’année écoulée, c’est sans doute
prendre un risque car il y a aura forcément des oublis, des jugements de
valeurs et des incertitudes. Un bilan partiel et donc partial. Mais il s’agit surtout
d’un exercice de distanciation pour tirer des enseignements au profit de nos
organisations. Nous évacuons volontairement la communication politique qui
semble en crise permanente, tant le mot a remplacé l’action et tant nos
concitoyens se détournent de la chose médiatico-politique comme le souligne le sondage
réalisé par le centre de recherche de Sciences Po. Nous n’aborderons pas non
plus les bad buzz qui ne sont que des avant bruits de crise sur le web et dont
l’impact réel reste encore à démontrer. Nous renvoyons le lecteur vers la rétrospective
exhaustive des bad buzz 2015. Ce qui nous conduit aussi à souligner la
complexité du mot crise et les champs qu’il recouvre. Devons-nous rester sur
une menace des intérêts vitaux (image, économie, social) d’une entreprise ou
s’intéresser davantage au principe de rupture dans un quotidien ? Enfin,
déterminer ce qui est vraiment une crise ne saurait se limiter au seul impact
médiatique. C’est pourtant le curseur choisi tout en sachant que l’impact d’un
événement sur des familles ou des salariés perdurera bien au-delà des éléments
de langage et autres communications.
Dans les crises que nous avons
relevées, il y a un dénominateur commun qui les traverse et les transcende. Le
retour de l’humain, de la valeur de la personne humaine face au monstre froid
des puissances technologiques, financières, économiques et politiques. Comme
si, selon nous, nous assistions à un tournant assez spectaculaire et profond. Pour
reprendre le beau titre de Jean-Marie Domenach, nous assistons à un retour du
tragique, à « l'innocence punie, le mal qui sort du bien, la liberté
figée en destin ». Nous découvrons dans
ces instants de souffrance, peut-être plus assurément notre prochain dans son
intégrité, sa grandeur et ses faiblesses.
Les attentats à Paris, Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre
Tout a été dit ou presque. Les
attentats de Paris traduisent parfaitement l’effet de sidération,
l’incompréhension. En images continues, sur des chaines de télévision à cours
d’explications et donc inondées d’experts tous plus ou moins légitimes, les
Français découvrent l’horreur au pied de leurs immeubles, de leurs stades, dans
leurs salles de spectacle et dans les rédactions. Essayer de comprendre les
faits, imaginer la suite des événements, la guerre déclarée et le retour de la
peur dans les villes, les menaces omniprésentes. Rupture sociale,
intellectuelle, cultuelle, comme une faillite d’un mode de pensée qui nous
tenaillait depuis des décennies. Une gifle aussi à nos certitudes démocrates de
tolérance et de fraternité. Il y eut la grande manifestation pour la liberté
d’expression récupérée par le cynisme de la chose politique, les trois couleurs
un peu partout mais pas tant que cela, mais surtout, surtout, il faut retenir l’initiative
exemplaire du Monde : le Mémorial
aux victimes du 13 Novembre. On aurait aimé que cette initiative là soit
initiée par le gouvernement français mais ce n’était « que » des
français ordinaires, ni des journalistes, ni des élus, ni des stars... Le
Mémorial de cette crise illustre à la perfection la sentence de Terence qui
nous disait que « rien de ce qui est humain ne doit nous être étranger ».
Les risques psycho-sociaux dans les organisations
Derrière la rage et la violence,
derrière les risques psychosociaux, derrière le suicide et toutes les formes
d’addiction, il y a surtout l’incommunicabilité entre des êtres humains
toujours plus connectés et toujours plus déconnectés de la réalité. Depuis le
séisme chez France Telecom, il y a une réalité tue, comme une omerta :
monde des agriculteurs, policiers, enseignants, cadres touchés par le burn out…
Il y a aussi un management qui demande toujours plus de performance et de
disponibilité, de toujours faire mieux avec moins. Il serait sans doute temps
dans nos entreprises et nos organisations de laisser de côté la communication
plomberie, les réseaux sociaux internes faux nez et de retrouver le sens de la
parole et de la relation. Comment expliquer encore aujourd’hui que dans nos
entreprises, le management ignore souvent le nom même de leurs salariés, un
management de plus en plus toxique déchiré entre la satisfaction des actionnaires
et le mieux être de leurs salariés ? Comme si être à l’écoute d’un
salarié, c’était déjà céder sur une augmentation de salaire, réponse entendue
systématiquement dans nos interventions sur des crises sociales. Autant de
bombes à retardement relationnel qui s’exprimeront bien un jour ou l’autre.
Le crash de la Germanwings (24 mars 2015)
Au-delà de la catastrophe et du
drame épouvantable pour des dizaines de famille, chacun est en droit de s’interroger
sur les circonstances du tragique. Comment une compagnie aérienne pouvait laisser
piloter un avion par quelqu’un qui suivait un traitement psychiatrique ? (Comment
plus récemment dans l’avalanche des 2 Alpes le 13 janvier 2016, un proviseur de
lycée ignorait qu’un de ses professeurs encadrant des lycéens en montagne, suivait
un traitement psychiatrique lourd et sortait d’un établissement hospitalier ?)
Si les droits du salarié et en particulier son droit au secret médical est à
préserver, on est en droit de se demander quel est le niveau de responsabilité juridique
du management des organisations incriminées. Ou faut-il se retourner vers le
législateur qui a voulu protéger à outrance le salarié sans prendre la mesure
des responsabilités individuelles. Il faut donc voir dans cette crise, une
faille significative de la relation employeur-employé.
Le conflit des taxis et Uber
Nouvelle querelle des anciens et des modernes, le conflit qui a opposé
les chauffeurs de taxi et les chauffeurs de VTC met le doigt sur un changement
essentiel de la société française et plus largement des sociétés
industrialisées. Le temps est bientôt terminé des castes et des groupes de
pression qui souhaitaient préserver leurs intérêts corporatistes. En effet, le
pouvoir est désormais dans la main des citoyens. Il est à ce titre intéressant
de lire l'enquête publiée sur Influencia qui décrit des Français à la fois impatients de
prendre en main leur devenir et leur choix de consommation et d'aller au plus
vite. Ce qui est en fait l'exact contraire du fonctionnement des sociétés
technocratiques comme la nôtre. Au lieu de subir les normes et contraintes, le
citoyen est désormais en mesure de choisir, de décider grâce à la numérisation
des activités sociales.
Dans un très bon papier publié dans l'Expansion, Géraldine Meignan souligne l'engagement des
grandes entreprises à répondre et à s'adapter à cette lame de fond. Partage,
connaissance mutuelle, échange, bons plans, en fait ce sont tous les schémas
traditionnels de l'organisation des sociétés qui volent en éclat grâce au
développement du numérique et de l’économie collaborative. Et qui anéantissent
à terme les intérêts des groupes de pression et des particularismes. Le
gouvernement l'a bien compris en refixant de nouvelles barrières pour protéger
la profession de chauffeur de taxi. Mais le bateau prend l'eau de toute part.
A terme, le citoyen s'affranchira de ces contraintes afin de mieux
diriger son existence et ses choix de consommation. Comme si le citoyen
parvenait à un niveau de maturité et de non-dépendance. C'est sans doute là que
les craintes des politiques et des organisations professionnelles sont
perceptibles car il s'agit de repenser une nouvelle forme d'organisation sociale
: nouvelles pratiques, nouveaux métiers, nouvelle économie, nouvelle politique.
En somme le chemin d'une liberté accrue.
La chemise déchirée du DRH d’Air France
Toute relative sur son impact,
cette crise là est significative aussi des tensions internes dans les
entreprises et de la tendance à la suspicion. Mais le niveau des excès, d’ailleurs
non condamnés par la CGT, traduit assez bien le niveau de défiance et l’absence
d’écoute. Air France a su parfaitement gérer la situation de crise grâce à une
communication axée sur les faits et proactive. A ce titre, il faut lire le
papier d’Olivier Cimelière sur la pertinence
de cette communication.
La crise des réfugiés
Les mots deviennent parfois des
images et la crise des réfugiés en provenance du Moyen-Orient est incarnée par
le corps sans vie de cet enfant sur une plage de Bodrum, au sud de la Turquie.
Cette photo illustre aussi l’hyper médiatisation de nos sociétés repues et
souvent en manque de compassion. Mais au-delà de cette image juste, nous voilà
assaillis par juste des images qui nous renvoient à nos propres contradictions.
Sens de l’accueil, fraternité mais aussi méfiance, suspicion. Les codes de
lecture de l’urgence humanitaires sont bouleversés et nous conduisent à réinterpréter
nos valeurs de partage. Cette crise est aussi une crise médiatique car les
mêmes images tournent en boucle sur nos écrans, jusqu’à l’épuisement et l’asphyxie
comme symbole d’une incapacité à renouveler le traitement de l’actualité. On
hésite entre voyeurisme, pulsion scopique et véritable empathie. Il faut
écouter ce que dit Dominique Wolton
qui estime que « le vrai problème, c’est
la surpression des médias ».
La crise chez VW
La communication est une fonction
centrale du management des entreprises. Si chacun est en droit de s’interroger
sur les pratiques étranges, connues ou inconnues du groupe VAG, les
conséquences de cette crise sur l’image globale des constructeurs automobiles
est entachée. Car nos concitoyens ne supportent plus la tromperie sur la
marchandise comme autrefois les lasagnes de chez Findus. Dans ce cas précis,
pas de victime, si ce n’est une confiance trompée. Beaucoup ont critiqué la
gestion de la crise de VAG mais il semble pourtant que le bon timing de la
crise a été respecté : démission, déclaration, occupation du terrain de la
communication. Le temps de l’entreprise n’est pas le temps médiatique et si
beaucoup ont reproché au groupe VAG son indolence, toutes les mesures de gestion
et de communication de crise ont été prises en temps voulu. En effet VAG n’a
pas suspendu ses campagnes de communication et il est fort probable qu’il
demeurera le premier ou le second constructeur automobile mondial. Le bruit
autour d’une crise n’est pas une réalité.
Sources :
http://www.influencia.net/fr/actualites/tendance,tendances,uberisation-mode-non-contraire-lame-fond,5592.html?utm_campaign=newsletter-s28-09_07_2015&utm_source=influencia-newsletter&utm_medium=email&utm_content=uberisation-mode-non-contraire-lame-fond
http://www.leblogducommunicant2-0.com/humeur/violences-chez-air-france-pourquoi-la-communication-de-crise-de-lentreprise-est-elle-pertinente/
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