jeudi 5 mars 2015

De Charlie Hebdo au chips Lays : le second degré est politique. Mais pas marketing...

Au delà des émotions, il est légitime de s'interroger sur le double discours des interdits. Ce qui est politique est assumé au nom de la liberté d'expression. Ce qui est marchand ne l'est pas. Alors que les méthodes discursives sont identiques. Est-ce que vraiment tout est pardonné ?

Il y a un temps pour l'émotion et il y a un temps pour la réflexion. Sans aucune hésitation, la vague d'émotion engendrée par les attentats de début janvier contre la rédaction de Charlie Hebdo et les meurtres perpétrés dans l'hyper casher de Vincennes, est totalement légitime. Beaucoup de mots ont été prononcés. Inutile de revenir sur l'abjection, sur la condamnation totale des faits, insoutenables et que rien, vraiment rien, n'excuse. Mais.
Mais, à la réflexion, et parce que nous avons été poussé dans nos retranchements par des étudiants curieux et intelligents, il y a quand même quelque chose d'assez gênant. En effet, au nom des valeurs fondamentales de la République, au nom de la liberté d'expression, des millions de français se sont rassemblés les 10 et 11 janvier 2015, à Paris et ailleurs, pour crier un "je suis Charlie", pour revendiquer cette liberté fondamentale de penser différemment, pour s'opposer à l'obscurantisme, à l'intégrisme, à l'ignominie. Mai hélas nous avons la mémoire courte et sélective.

Du second degré
Ainsi donc, le second degré, l'humour, la caricature, le cynisme, la satire seraient des symboles politiques. Au nom de cette chère liberté d'expression, tout peut être dit, écrit, raconter, dessiner. Les humoristes, les journalistes, les citoyens peuvent humilier une communauté, aller contre ses croyances, ses préceptes, bafouer ses certitudes. Au nom de cette chère liberté d'expression, il serait interdit d'interdire comme les murs de mai 1968 l'affichaient. 
Mais. Mais il existe en France, deux organismes, comme beaucoup d'autres comités Théodule, le jury de déontologie publicitaire (JDP), émanation de l'autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Ces organismes veillent à recueillir les plaintes des citoyens à l'encontre de publicités diffusées, quelque soit le support. Il est donc tout à fait passionnant d'examiner toutes ces publicités interdites ou censurées en France parce que considérées comme "discriminatoires". Le mot est lâché. Il y aurait donc de la discrimination dans certaine publicité en France ?
Ainsi de la publicité pour les chips Lays. Le défenseur des droits en la personne de feu Dominique Baudis s'était ému de cette "caricature portant préjudice aux personnes âgées". Dans le même esprit, la campagne pour la SMEREP, une mutuelle étudiante, a été censurée et retirée des écrans parce qu'elle était considérée comme trop "sexiste". Le JDP a jugé "que ces spots présentent les femmes "comme étant futiles, irréfléchies, sottes voire agressives", contrevenant à l'article 2 de la recommandation "Image de la personne humaine" de l'ARPP". Et bien que ces publicités ne portent pas vraiment à conséquence, chacun sent quand même comme une crispation rigoriste sur des messages publicitaires qui s'appuient sur le second degré.
Second degré : capacité à jouer sur l'ironie, à laisser croire le contraire de ce qui est exprimé. Le second degré ne nait pas de la compréhension directe mais d'une lecture plus subtile ou intellectuelle.
Et si la publicité s'avance sur le terrain du sexe provocateur, de la religion, du politiquement incorrect, elle sera sans nul doute censurée. Il faut relire l'étude d'Advertising Times sur les publicités controversées ou bannies qui dresse un panorama assez cruel de nos certitudes sociales.

Censure religieuse
Si nous restons dans la sphère religieuse, la Cène revisitée par Marithé François Girbaud, bien que très esthétique, fut jugée trop polémique et retirée en 2008. 


Ou encore les publicités pour le glacier italien Federici qui furent honnis et conspuées puis retirées.


Nous ne doutons pas que les membres de l'ARPP aient défilé le 11 janvier à Paris pour cette fameuse liberté d'expression... Pour conclure, chacun serait en droit, avec un peu de discernement de s'interroger sur cette équation. La publicité utilisant et provoquant les sentiments religieux seraient à bannir. Mais pas les dessins satiriques de Charlie Hebdo conspuant les religions, offensant les croyances. Au nom de la liberté de pensée, au nom de la liberté d'expression, le vocabulaire politique et satirique serait admis mais pas les campagnes marketing. Serait-ce une nouvelle fois l'illustration du combat entre le bien et le mal, le bon et le mauvais ? Est-ce que vraiment tout est pardonné ?



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